mercredi 8 mars 2017

Chapitre 1 complet, le chat de Louisville

Le chat de Louisville


Louisville était une ville gigantesque abritant des constructions colossales qui s’étendaient sur tout l’horizon comme le spatioport « Zvezda » et sa tour emblématique connectant le monde d’en bas à la station orbitale « MIR », relique d’un passé lointain où les vaisseaux avaient encore du mal à quitter l’atmosphère. Cependant, Louisville était également une ville d’une variété raciale rarement égalée sur la planète « Koléa ». Ici se côtoyaient plusieurs espèces différentes au milieu de mégastructures qui défiaient les cieux. Les humains croisaient les rares et nouveaux zoohumains, hybrides entre hommes et animaux, qui représentaient à ce jour moins de 5 % de la population totale, ainsi que les plus rares néohumains et leur culte cybernétique. Pourtant, de toutes ces espèces qui peuplaient Louisville, il y en avait une qui sortait particulièrement de l’ordinaire. Il existait au cœur de cette Gigapole (gigantesque cité de la taille d’un pays) une créature unique en son genre. Son existence n’était connue que de quelques rares « élus », si rares qu’ils pouvaient être comptés sur les doigts d’une main, ainsi que d’une poignée d’individus au comportement hautement antisocial ayant eu le malheur d’attirer sa curiosité.


De cette créature on ne connaissait pratiquement rien. Quelques témoignages la décrivaient comme un chat aux proportions gigantesques dont les yeux brillaient dans l’obscurité comme des brasiers, dont la peau était aussi noire que la nuit, lui permettant de se fondre dans l’obscurité et autres détails sans intérêt de témoins choqués ou affligés de stupidité. Ce manque d’information était ce qui avait amené la presse extraordinaire et paranormale à l’appeler « le chat de Louisville ».     


Ce chat ne sortait qu’à la nuit tombée et parcourait la ville en toute liberté, comme s’il était porté par le vent. Il sautait de toit en toit sur des distances qui défiaient toute logique et pouvant faire tomber la mâchoire des plus incrédules. Il se déplaçait de balcon en balcon et de mur en mur. Il naviguait de ruelle en ruelle, d’ombre en ombre, épousant l’obscurité et enveloppé d’un voile de silence absolu. Il vagabondait sans but précis apparent, juste pour le plaisir de dégourdir ses membres, quoique cette affirmation ne serait pas tout à fait exacte. Il était mû par sa curiosité ainsi que son instinct, et cette nuit encore, il déambula à travers la ville à la recherche d’un petit groupe de trois personnes qui puaient l’hostilité à des kilomètres. La pensée, en général, n’est qu’un ensemble de combinaisons électriques parcourant les neurones, mais ce courant crée un champ électromagnétique, on parle alors de rythme cérébral, qui, chez les personnes normales, ne peut être perçu que par des individus excessivement sensibles ou par des appareils tels que les électroencéphalogrammes. Néanmoins, il arrive toujours qu’une ou plusieurs exceptions existent. Certains ont la capacité de générer un rythme cérébral particulièrement intense, bien au-delà des quelques microvolts habituels. Le chat était, comme tout animal, sensible aux champs électromagnétiques. Ce n’était pas qu’il lisait les pensées, mais plutôt que le rythme provoquait une réaction instinctive en lui dressant tous les poils de son corps. Ces individus étaient sans nul doute sur le point de réaliser quelque chose d’absolument pas recommandable. Animé par son instinct le plus basique, il descendit du haut d’un gratte-ciel en une série de sauts acrobatiques pour se retrouver dans leur dos en un instant, sans un bruit et si près qu’il pouvait leur souffler dans la nuque.
Ses griffes étaient sorties, il aurait pu les réduire en charpie sans même qu’ils ne comprennent ce qui venait de leur arriver, mais il se maîtrisa au dernier moment, se fondant à nouveau quelque part dans l’obscurité. Il réagissait souvent comme un miroir, répondant au rire par le rire et à l’hostilité par l’hostilité et sa pulsion meurtrière était la réponse soufflée par son instinct à leurs propres émotions.

L’un des membres du groupe, celui du milieu, se retourna brusquement. Il avait le front trempé de sueur, les yeux écarquillés, les nerfs à vif. De son œil droit bionique, il scruta les alentours, mais malgré le fait qu’il changeât de spectre lumineux, il ne remarqua absolument rien d’anormal. Pourtant, même si ses appareils ne décelaient rien dans les environs, il était persuadé que, pendant une fraction de seconde, il avait frôlé la mort.

  • Tu l’as senti aussi ? demanda son compagnon qui se trouvait le plus sur sa gauche. Il fixait la même obscurité avec des yeux aussi larges que ceux d’un hibou. Sa main était étrangement positionnée à côté de ses hanches, comme s’il était sur le point de dégainer.
  • Hey les mecs, qu’est-ce qui vous prend ? Diss, qu’est-ce qui se passe ? demanda l’individu sur la droite, à son tour fixant la ruelle, mais sans avoir aucune idée de ce qu’il pouvait bien chercher.
  • C’est juste mon imagination, répondit le prénommé Diss en desserrant la mâchoire. Il commençait visiblement à se calmer, ce qui était des mieux pour sa dentition qui commençait à craqueler.
  • Ton imagination ? J’ai tellement flippé que j’en ai oublié de respirer ! rétorqua à nouveau celui de droite.
  • Oublie ça Luke ! Diss se retourna sans ajouter un mot de plus, suivi de près par l’autre.
  • Diss, Ilia, hey !!! Bordel de merde !!

Quelque chose changea parmi le groupe : leur hostilité barbare s’était dissipée ou plutôt s’était affinée. Le monstre électromagnétique créé par leurs cerveaux s’était caché, guettant une proie potentielle. Leurs sens étaient en éveil, à l’affût de la moindre anomalie dans un cercle d’une centaine de mètres autour d’eux.
  • Tei doumaech chto eta ani ? (Tu crois que ce sont eux ?) demanda Ilia à Diss en un murmure à peine audible dans leur langue d'adoption.
  • Nadeiouc chto net. Ato vcé nachi deistvia boudout zria (J’espère que non ou tout ce qu’on a fait n’aura servi à rien), répondit Diss en se touchant la base du cou probablement sans s’en rendre compte, là où se trouvait son tatouage, une rose noire encerclée par un serpent au crâne humain. Puis, dans un murmure qui ne semblait être audible que par lui, il prononça « Anubis ! », avec une telle rage qu’il serra à nouveau la mâchoire très fort. Un nom lâché avec rage, certes, mais également empreint d’histoire. Ilia, son compagnon, fit de même. Il attrapa son propre poignet qu'il serra si fort que sa prothèse plia en y laissant l'empreinte de ses doigts, luttant contre la colère qui bouillait en lui...
Ils étaient déjà sortis de la ruelle qui avait réveillé leur noir passé et se frayaient maintenant un chemin à travers la foule qui ne tarissait presque jamais sur l’avenue Austin P. Dumas. Elle était parsemée d’innombrables boutiques chics sur plusieurs kilomètres, et sur plusieurs étages, de telle sorte qu’il était possible de passer toute une semaine à s’y balader sans en voir le bout
Elle était parsemée d’innombrables boutiques chics sur plusieurs kilomètres, et sur plusieurs étages, de telle sorte qu’il était possible de passer toute une semaine à s’y balader sans en voir le bout. Des enseignes holographiques étaient dispersées tout autour, guidant les passants vers leurs boutiques préférées et il suffisait de jeter un regard à travers les lunettes ou les lentilles de réalité augmentée pour voir leur catalogue, habiller les mannequins et présélectionner ses articles, commander en ligne son casse-croûte de minuit, ainsi que mille et une autres choses pour être ensuite invité par une mascotte ou un vendeur virtuel à venir chercher le fruit de la pulsion consommatrice. Autant dire que la pollution visuelle était des plus intense, et même en arrêtant les applications ou en éteignant les appareils, personne n’était épargné par les couleurs et les lumières des néons. C’était une avenue éternellement active et il paraîtrait qu’elle l’avait même été durant la guerre.


Le groupe s’engouffra dans un passage souterrain pour ressortir de l’autre côté de la route au trafic impressionnant pour cette heure de la nuit, mais le travail ne connaissait pas de répit. Dans un très, très lointain passé, existait un modèle économique appelé « esclavage » où la force de travail n’avait aucun droit, même celui basique attribué à un être humain, ni compensations aucune pour leurs efforts incessants ; et il était curieux de voir ce système émerger aujourd’hui sous une forme différente : le travaillisme ou encore le néocapitalisme, un système ressuscité pour les besoins de la reconstruction. Mais c’était simplement de la poudre aux yeux. 14 heures de travail par jour étaient devenues une norme grâce aux progrès de la science et de la médecine. Le groupe bifurqua à nouveau dans un réseau de ruelles loin de la foule et du brouhaha et sous le regard attentif du chat.


Bien entendu, le cerveau de Diss carburait à 100 à l’heure, essayant de comprendre le comment du pourquoi. Ce qu’il avait ressenti tantôt n’était pas une première, tout le problème était justement là. La sensation qu’il avait éprouvée était une norme pour lui il fut une époque. Il survivait au jour le jour, affrontant des créatures gargantuesques qui pouvaient le tuer de 1000 manières différentes au moindre faux pas et Ilia était également un vétéran de ce conflit, d’où son inquiétude. Le souci était qu’il n’y avait aucune créature connue sur Koléa qui pouvait générer une « impression » pareille, l’hypothèse d’un quelconque animal, même celle des zoohumains anthropomorphes, était très peu probable. Il y avait trop de paix ici, trop peu de peur et de terreur, et abondamment de faibles. À leur connaissance, il n’y avait qu’une quinzaine de « guerriers » capables d’une telle chose et si c’était effectivement eux les responsables de la filature, cette ville allait devenir un terrible champ de ruines.


Cependant, cette hypothèse était également très peu probable, car il était bien trop tôt pour qu’ils retrouvent leur trace, du moins c’est ce qu’ils espéraient. Y aurait-il réellement dans les rues de Louisville une créature de classe « epsilon » inconnue des autorités ? Si tel était le cas, il y avait de fortes chances que cette ville aux mille et une promesses de rêves se transforme en gigantesque cauchemar bien réel, et dans leur état actuel, ils étaient loin de pouvoir gérer une telle calamité. Aucune de ces hypothèses n’était particulièrement plaisante, c’était le moins que l’on puisse dire.


« Impossible... Concentre-toi sur ta mission », finit-il par se dire en se promettant de revenir à ses réflexions plus tard. Il était indispensable d’en discuter avec « Monsieur ». Ensemble, ils pourraient peut-être prendre avantage de cette situation.
Une fois sortis du réseau de ruelles, ils s’arrêtèrent quelques pas plus loin, devant un arrêt de bus qui ne tarda pas à arriver. Complètement automatisée, la machine était pratiquement toujours ponctuelle.
  • On se retrouve dans 3 heures. N’interviens qu’en cas d’extrême nécessité, mit en garde Diss à Ilya en montant dans le bus.
  • Hmpf, t’en fais pas pour nous, dit-il en saisissant l’avant-bras de Diss, puis, en regardant droit dans ses yeux, il ajouta, sois prudent ! et le relâcha aussitôt. Diss eut à peine le temps de faire oui de la tête que les portes se refermèrent et que le bus continua sa route.

Luke, qui les observait d’un œil louche depuis l’incident de la ruelle, ne savait pas trop quoi penser, mais pour une fois, il eut suffisamment de jugeote pour ne pas poser de questions. Il valait mieux ne pas se mêler de leurs histoires personnelles. C’était la règle d’or de l’organisation de toute façon.
  • Allez viens, on a une demoiselle qui nous attend, dit Ilia en lui faisant signe de le suivre.
  • Une pute tu veux dire, t’as vu ses lèvres ? Elle est née pour être une suceuse, rétorqua Luke en ricanant.
  • Si j’entends encore une fois ce genre de discours, je te couds la bouche, lui dit Ilia sur un ton des plus sérieux.  
  • Quoi ! Mais qu’est-ce que j’ai dit ?

Le chat arrêta d’écouter, préoccupé par son dilemme. Il pouvait pourchasser le prénommé Diss dont le bus n’allait pas tarder à s’engager sur la Blue road, ce qui était légèrement plus compliqué que de suivre le prénommé Ilia. Tous les deux étaient intéressants, mais au final, son choix se porta sur Ilya sans raison plus valable qu’une autre ou peut être que si en fait, c’était le choix le plus simple. Il bâilla un bon coup, ouvrant très largement sa gueule, puis continua paresseusement sa filature.

Le groupe, maintenant réduit, s’engouffra une nouvelle fois dans une ruelle et là, il se produisit quelque chose de très étrange. Ilia était un homme de taille moyenne, blanc de peau, d’une corpulence sèche et fine. Il avait les oreilles légèrement pointues, les yeux gris faiblement ouverts... et progressivement, en quelques secondes, il changea complètement d’apparence ; seule sa coupe au carré resta la même. De microscopiques pièces d’un alliage inconnu en ce monde se restructurèrent pour modifier complètement son apparence en rajoutant à son physique, visuellement, au moins dix kilos.     
  • Putain, ça me fout les jetons à chaque fois, commenta Luke. C’est douloureux ? demanda-t-il par la suite.
  • Pas quand on inhibe les récepteurs de douleur, répondit Ilia avec une voix différente, un peu plus aiguë.
  • Oh ouais, c’est évident ! dit Luke qui se voulait sarcastique.  
  • C’est le cas, répondit Ilia en ignorant le commentaire.
  • Hmm OK...
  • Tu comptes poser une question utile ?
  • Euh non, pas vraiment, je voulais juste discuter.
  • Ça ne m’intéresse pas. Concentre-toi sur la mission, c’est le plus important.
Luke ne dit rien et le reste de la marche se passa dans le silence. Bientôt, ils sortirent des ruelles pour entrer dans la vieille ville. Ici, les immeubles n’étaient pas des tours de Babel, perçant les nuages à plus de 500 mètres de hauteur, mais des reliques du passé à l’image du statioport. Dans l’ancienne ville, les immeubles étaient en moyenne trois fois moins grands et entassés les uns contre les autres de telle sorte que les gens avaient l’impression quelquefois d’étouffer par manque d’air : la maladie de Vankauper, du même nom que la ville naine. À croire que les experts psychologues, sociologues et anthropologues ne voulaient pas s’embêter à chercher une appellation plus originale.     
  • 2 min, dit Ilia
  • OK.
Le groupe se sépara, Luke se dirigea vers un van en piteux état sur lequel était écrit « Rémont peinture, un rouleau pour du nouveau, services 24 h/24, 7 j/7 » stationné là, mais c’était définitivement une façade vu le matériel informatique dernière génération qu’il y avait à l’intérieur. Ce van était un centre d’opération mobile. Après avoir refermé la porte et lancé la machine qui émit un léger son de ventilation, Luke s’activa à taper des lignes de codes et sélectionner des dossiers, ce qui lui prit moins d’une minute.

  • C’est bon, dit-il dans son oreillette.
À l’autre bout de la rue, la porte devant laquelle se tenait Ilia se déverrouilla sans qu’il n’ait à s’identifier. Il entra alors dans l’immeuble plein de malice et de détermination. En passant devant les miroirs du hall, il remarqua son nouveau visage qui avait pris un aspect des plus terrifiants.

  • Je suis dans le hall, murmura Ilia qui venait de corriger son apparence
  • OK, je bloque la sécurité de son appart et c’est bon. Sa porte est déverrouillée, toutes les alarmes sont bloquées et les caméras sont sous mon contrôle.
  • Bon boulot, j’en ai pour 5 min, tu peux avancer le van et prévoir l’itinéraire suivant.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, laissant sortir une vieille dame et son chien, encore debout à cette heure tardive.

  • Bonjour madame, lui dit Ilia avec un sourire des plus chaleureux.
  • Oh, bonjour monsieur, répondit la vieille dame. Milou, viens, laisse le monsieur. Je suis désolée, s’excusa-t-elle en tirant son petit chien.
  • Ne vous inquiétez pas, ce n’est rien. J’aime bien les bêtes, dit Ilia avec un sourire. Ça va toi ? dit-il au petit chien, le caressant agréablement derrière l’oreille. Allez, je dois y aller petit, portez-vous bien madame je vous souhaite une bonne soirée, dit-il en se relevant.
  • Oh merci monsieur, bonne soirée à vous aussi, lui répondit la vieille dame charmée.

Ilya prit l’ascenseur jusqu’au 7ème étage, son sourire disparut et ses yeux ne reflétaient plus rien de la bonté qu’il avait su afficher il y a de cela quelques instants à peine.
  • “Iverna, soutien luke sans qu’il ne te détecte. Je veux que tu prenne le contrôle de ce quartier: électricité, sécurité anti-incendie, traitement des eaux et communications. J’ai un mauvais pressentiment pensa Ilia en s’adressant à l’intelligence virtuelle intégrée à son cerveau
  • “Très bien” - répondit cette dernière, la lumière de l’ascenseur clignota une fois et les portes s’ouvrirent.


Il longea ensuite le couloir de droite et s’arrêta devant la troisième porte de droite qui se déverrouilla aussitôt. Sa démarche changea légèrement, ses pas devinrent subitement un peu plus lents et légers, si légers qu’il ne faisait pas un bruit, aidé par les absorbeurs cinétiques; à croire qu’il flottait au-dessus du sol. Malgré l’obscurité qui régnait dans le petit appartement de deux pièces, Ilya arrivait à se repérer sans souci, aidé non seulement par sa vision augmentée, mais également par ses souvenirs. Il s’était déjà promené ici durant l’absence de Marion, pour se familiariser avec les lieux.


Étant une commande spéciale, le boulot d’Ilia était de s’assurer qu’elle soit exactement là où elle devait être, lorsqu’elle devait être et entre les mains de celui ou celle qui devait être, avec 0 % de chance d’erreur, car Ilia était de ceux qui prenaient le boulot très au sérieux. Il esquiva adroitement les chaussures à l’entrée. Au bout de quelques pas, il arriva dans le salon et fit le tour du canapé, encore quelques pas dans le minuscule appartement et il se tint devant une porte entrouverte. Il pouvait l’entendre maintenant, son souffle, son cœur... Il avait tout l’air d’un prédateur. Avec douceur, il écarta un petit peu plus la porte, qui, en cet instant, décida comme par magie de ne pas grincer alors que c’était le cas d’habitude, et se faufila à l’intérieur. Maintenant, il suffisait de lui recouvrir légèrement la bouche et le nez de sa main et le gant infusé de chloroforme ferait le reste en quelques minutes, l’assoupissant profondément pour plusieurs heures et à cet instant-là, son destin allait être scellé à jamais. Encore avait-elle de la chance d’être un produit commissionné, il ne devait rien lui arriver, pas même une égratignure. Il posa sa main doucement sur son visage sans provoquer la moindre réaction réflexe, puis le chloroforme à l’intérieur de son gant fit effet immédiatement et elle sombra dans un sommeil encore plus profond. Le reste était d’une simplicité enfantine. Il n’éprouvait aucune pitié pour le sort de cette jeune femme. Elle devait avoir dans la vingtaine, elle n’était encore qu’une gamine endormie dans la sécurité et la chaleur de son foyer, mais deviendrait très vite une femme qui se réveillerait dans ce qu’elle appellera sans doute l’enfer. Non, ce n’était pas la pitié qui le fit s’arrêter, mais la sensation d’une autre présence, il avait l’impression que les fourmis dansaient la java sur son dos.


Lorsqu’il se retourna, il aperçut l’ombre de quelque chose d’énorme se faufiler le long du mur à l’image d’une araignée. Habilement, elle passa en premier sa patte, puis se tira à l’intérieur de la pièce sans rien toucher. En une fraction de seconde, avant même que son cerveau eût le temps d’analyser la situation, le corps d’Ilia réagit à la menace. La mémoire activa sa motricité, le souvenir de champs de bataille où cligner des yeux était synonyme de mort, prendre le temps de réfléchir était tout simplement du suicide. Ilia fit un bond qui le propulsa à l’extérieur par la fenêtre. En tombant, il déploya son manteau et y saisit deux armes de jet qui filèrent comme deux balles en direction de la chose qui le suivit, mais malgré la force et la vitesse, elles furent déviées sans effort. Il réalisa une pirouette pour se repositionner et atterrit lourdement en fracturant le sol.


À peine eut-il touché le sol qu’il réalisa une série de petits bonds accroupis en balançant une volée de couteaux aux lames dentelées et incurvées comme des boomerangs, mais ces derniers furent tous éparpillés dans le décor par les bras immenses et paradoxalement rapides de la bête. Elle atterrit, à son tour, lourdement sur ses quatre pattes, soulevant l’asphalte, puis elle se redressa sur ses deux pattes dévoilant toute sa stature imposante de plus de 2 mètres. L’éclairage dans la rue était largement suffisant pour qu’Ilia puisse finalement observer la créature, mais c’était étrange. Malgré la lumière, ses yeux avaient besoin de faire des efforts pour la voir.
« Un z'hum ? » pensa Ilia, sceptique : une créature de nature inconnue, un félidé de famille inconnue, à la fourrure aussi noire que la nuit, comme si faite d’obscurité, recouverte de quelques zébrures blanches avec un soupçon de vert. Il était sec et musclé, cela pouvait se voir aisément malgré ses vêtements, son visage ressemblait à celui d’un tigre, mais sans les rouflaquettes. Il n’avait pas de pattes avant, mais des bras à l’image des humains, terminés non pas par des phalanges courtes, mais par des doigts plus épais que la normale et griffus. Il avait des pattes arrière incurvées à l’image d’un félin, cependant, le bas était un mélange entre une plante de pied humaine longue et celle d’un chat, très courte en raison du métatarse développé. Autrement dit, il arrivait à garder parfaitement l’équilibre malgré le fait qu’il tenait sur deux pattes.

En observant cette « aberration » de la nature, Ilia prêta plus attention à certains détails qu’il jugea importants, d’abord les avant-bras et les mains de la créature capturaient l’attention : disproportionnés et plus larges que la normale, c’était un trait qu’il n’avait remarqué chez aucun autre z’hum. Il fallait qu’il fasse particulièrement attention à ces bras, ils devaient pouvoir générer une sacrée force. Ensuite, le t-shirt et le pantalon du chat étaient, selon les données recueillies par ses yeux bioniques, faits d’une matière nano flexible pour s’adapter à ses proportions, ce qui n’était pas commun du tout.
« Intéressant », pensa Ilia.
  • Luke, tu m’entends ? Plan D, dégage de là tout de suite, murmura Ilia dans son oreillette.
  • Quoi ? Qu’est-ce qui….

Le chat regardait Ilia qui ressemblait à un nain à côté de lui, sa queue bougeait légèrement de gauche à droite, témoin de son humeur légèrement énervée, mais juste légèrement. Ce que cet humain s’apprêtait à faire le révoltait au plus haut point, les zoohumains étaient fondamentalement attachés au principe de liberté, de par leur nature, mais surtout de par leur histoire.  
  • Obéis ! eut-il juste le temps de crier.


Slap, sa queue frappa le sol le fissurant, comme si frappé par un câble métallique, et en un clignement d’œil, il se retrouva à portée d’Ilia, mais son poing massif ne frappa que l’air. Son adversaire bondit en arrière, guidé par son augmentation cérébrale qui n’eut le temps de calculer que ce mouvement basique, ce qui s’avéra être une erreur colossale. Ne jamais laisser la partie mécanique en contrôle était la base. C’est ce qu’il avait appris au cours de son existence, et ce qui lui avait sauvé la vie lorsque l’équilibre des forces ne laissait apercevoir aucun espoir. Le cerveau humain était bien plus puissant que n’importe quelle machine dans la tête de celui qui savait l’utiliser. L’instinct d’Iia prit la main sur son assistance cybernétique juste à temps pour qu’il lève les bras et se protège le visage. Le coup de poing n’était qu’une feinte. Partant en parabole vers le sol, il servit à accroître le momentum du chat. Poussé par la force de sa frappe et aidé par la gravité, le félin réalisa une pirouette si vive et rapide qu’il apparut comme un objet sphérique flou. Comme une lumière sur une roue de vélo tournante. La combinaison fut suivie par un coup de pied ou plutôt de patte aérien qui envoya Ilya s’envoler comme un projectile, traversant de part en part un véhicule garé le long du trottoir, pour terminer violemment dans le mur d’un immeuble
N’importe quel humain ordinaire serait probablement mort rien que lors de l’impact initial, pourtant, Ilia respirait encore même si avec de grandes difficultés. Les polymères dans ses bras étaient presque pliés en deux, il avait subi une sévère concussion qui lui causa des troubles visuels malgré les calibreurs de son système optique, ainsi qu’un mal de crâne et une sérieuse envie de vomir. Au minimum, ses côtes avaient dû être fissurées lors de l’un des impacts, le cerveau avait subi des dégâts ayant redondit plusieurs fois avec violence contre les parois du crâne craquelé. Autant dire que tout son corps était en miettes. Fort heureusement, ses récepteurs de douleur étaient éteints, et il craignait d’ores et déjà le moment où il les enclencherait pour faire le diagnostic sur ses options. Ce qui le troublait était que, malgré le fait qu’une bonne partie de l’énergie cinétique avant avait pu être déchargée, comme en témoignaient les trous dans son manteau au niveau de ses coudes, il avait quand même subi de sérieux dommages.

Le véhicule qu’il avait percuté et fendu en deux faisait un boucan d’enfer, les lumières commençaient à s’allumer un peu partout dans les appartements avoisinants et les forces de l’ordre allaient probablement arriver dans quelques dizaines de minutes. Ilia avait encore suffisamment de facultés mentales pour juger qu’il n’était pas dans son intérêt de traîner ici plus longtemps, il y avait trop de questions auxquelles il ne pouvait pas répondre. Il n’était même pas censé exister à en croire les registres, alors il dut se contraindre à choisir la fuite alors même que tout son être hurlait à la vengeance. La première chose qu’il fit, fut d’extraire péniblement de sa ceinture une petite boite métallique qu’il ouvrit pour en boire le contenu, la procédure « Quätal » venait de s’enclencher. Tout de suite, le produit gélatineux se propagea dans tout son corps, enclenchant par là même ses récepteurs de douleur, embrasant sa soif de sang et sa rage. Les dégâts aux vertèbres lombaires, vertèbres cervicales, bassin, côtes, clavicules plus ses multiples déchirures et lésions de ses muscles naturels et synthétiques furent réparés, mais le cocktail qui parcourait ses veines avait encore d’autres vertus. Le monde lui apparut incroyablement détaillé, ses sens étaient aiguisés à l’extrême, son processus d’analyse était si rapide qu’il avait l’impression que son temps était ralenti, une sensation qui était si familière il fut une époque : l’univers d’une seconde.


Le chat avançait vers son adversaire lentement, prudemment, et ce, malgré son avantage. Ce n’était pas qu’il avait peur ou qu’il était sur ses gardes, mais juste le fait qu’il n’était pas spécialement pressé de voir la conséquence de sa perte de calme : des os brisés, les organes éclatés entraînant de violentes hémorragies, peut-être la cervelle à l’air et ultimement la mort. Il s’en voulait non pas pour avoir ôté la vie, mais pour avoir succombé à son instinct, quelque chose qu’il s’acharnait constamment à combattre, alors quand il vit Ilia se dégager du mur dans lequel il était encastré comme si de rien n’était et dégageant une hostilité qui lui était presque visible, palpable, son esprit faillit basculer dans une frénésie sauvage.
Les bras tremblant, les crocs dehors, le regard figé, les poils hérissés, les sens aiguisés, ses pensées se heurtaient les unes aux autres.
« Tripes... » pensa-t-il en imaginant plonger les crocs dans le ventre d’Ilia.
« … Une seconde… » essaya-t-il de reprendre le dessus.
« … sang… »
« … qu’est-ce que... »
« … démembrer... »
« … silence !!! » rugit-il intérieurement.   
Quand il reprit le contrôle au bout de quelques secondes, il se mit en position jambes écartées, centre de gravité abaissé, le bras gauche en angle droit et le droit au niveau de la hanche armée à partir comme un piston dévastateur. Mais les choses n’allèrent pas dans le sens qu’il anticipa. Il était évident par le comportement de son adversaire qu’il voulait se battre et pourtant… deux couteaux de jet coupèrent l’air en atteignant presque la vitesse du son, Ilia les avaient lancé de toutes ses forces, presque à s’en arracher les bras,  mais le chat réussit à les esquiver même si la marge était dangereusement minimale. Cet exploit était étonnant et frustrant mais à la fois dans le paramètre de considération d’Ilia. Le félidé le perdit de vue pendant une fraction de seconde ce qui était amplement suffisant pour lui donner une bonne longueur d’avance dans l’obscurité qui s’abattit brusquement sur tout le quartier et même au-delà.


Le chat se mit à quatre pattes, bandant les muscles et se rua à sa poursuite. En un bond, il franchit plusieurs dizaines de mètres en un claquement de doigts et sa vitesse ne faisait qu’augmenter. Motivé et excité par ce jeu de chasse, il ne voyait, ni n’entendait plus rien autour de lui, tous ses sens étaient focalisés à reconstituer une image de sa proie. Même s’il ne le voyait pas il pouvait voir où il était alors même qu’il se déplaçait courant à toutes jambes dans l’espoir de s’échapper.
  • “Futile!” - pensa le chat amusé. Guidé par son odorat, et par "l'impression électromagnétique" de sa proie, la fuite était en effet futile.  
Il rattrapa Ilia quelques kilomètres plus loin, sur le toit d’un immeuble. Le cyborg ne pouvait plus lui échapper, il était rapide, il devait être la troisième personne la plus rapide qu’il connaisse, mais malheureusement pour lui, pas assez, alors il fit la seule chose qu’il pouvait : se battre.


Pourtant, il y avait quelque chose d’étrange, quelque chose d’illogique dans son comportement ou à l’inverse quelque chose de très logique qu’il ne comprit que trop tard. Ilia ne faisait qu’esquiver les assauts incessants du chat si vifs que prendre du temps pour inspirer était exclu, ce qui valait une certaine admiration. Coups de pattes, de poings, griffes, Ilia parvenait à esquiver ces attaques et minimiser les dégâts en usant une sorte d’art martial agile et fluide, dispersant la force dans le sol ou dans le vide, sans jamais essayer de bloquer. Les anciens appelleraient ce style, probablement, Sivekehaka, une arme qui permet aux faibles d'affronter les forts et imaginé il y a des temps immémoriaux par une femme à une ère où savoir se défendre soit même était une question de vie ou de mort. Rien n'avait changé depuis dans le monde du "guerrier" connu comme le "prochain", mais ceci est une autre histoire.
Ajouté à cela les augmentations ainsi que le fait que ses blessures se refermaient aussitôt, et Ilia devenait un adversaire des plus amusant. Le chat aurait pu continuer comme cela encore très longtemps, cependant quelque chose se produisit. Ilia attendit le bon moment pour se faufiler expertement juste devant l’abdomen non gardé et sous le regard intrigué du chat, il plaça sa main qui changea rapidement de forme au niveau de son plexus et déchargea une puissante vague d’énergie cinétique accumulée qui envoya son ennemi glisser sur plusieurs dizaines de mètres, à l’autre bout du toit en soulevant poussière et béton.


  • Tssk… - lança le guerrier en crachant du sang au sol et en se relevant à bout de forces.
Ilia était particulièrement mécontent, il espérait pouvoir l’envoyer voler beaucoup plus loin que ça et surtout inconscient, mais le contrôle et la densité musculaire du z’hum lui avait permis de garder les pieds au sol. La seule trace de l’impact était un t-shirt déchiré dévoilant une sixième paire de muscles abdominaux et une sorte de fumée, résidu d’énergie qui s’élevait depuis son ventre. Décevant, mais pas bien grave, il avait prévu un plan de secours et avant que le chat ne puisse avancer à nouveau, il pointa du doigt vers l’est d’où ils venaient et dans cette direction, on pouvait apercevoir une grosse colonne de fumée noire s’élevant d’un immeuble. Il pointa du doigt comme pour tirer au pistolet sur un autre immeuble plus loin et le chat pouvait déjà apercevoir une autre colonne, plus fine, se frayer un chemin dans les airs.
  • Le choix est simple, laisse-moi partir ou tu regarderas ce quartier brûler. J’ai sous mon contrôle le réseau de communication et les systèmes anti incendies, menaça Ilia. C’était la première fois qu’il lui parlait, tout s’était passé si vite qu’il n’en avait pas eu l’occasion jusque-là.
Son pari porta ses fruits, le chat s’immobilisa.
  • Je n’ai pas besoin de savoir qui tu es, ni ce que tu veux, mais la prochaine fois que tu croiseras ma route, je prendrai ta fourrure comme trophée, lui dit Ilia, avec un ton des plus sérieux et tout en pensant « Bingo ». L'expérience était un outil devenue une arme. Son instinct ne l'avait jamais trahi, ou du moins il a toujours su comment l'écouter alors depuis la ruelle où il sentit le souffle de la mort il était sur ses gardes planifiant sur plusieurs scénarios. Et encore une fois son expérience lui a permis de se sortir d'une situation délicate.
Le chat éclata de rire d’une voix grave.
  • La prochaine fois, je devrai peut-être te prendre un peu plus au sérieux alors, jusque-là tu m’as chatouillé, répondit le chat en passant légèrement sa main sur son ventre.

Ils se regardèrent pendant quelques secondes. Malgré les yeux artificiels d’Ilia, on pouvait y voir de la colère née de son âme puis il observa le chat le dépasser nonchalamment avant de disparaître sans laisser de trace, sans doute filant en direction de l’incendie. Chaque seconde comptait, des innocents pouvaient se retrouver piégés par les flammes.
Ilia se courba, exténué, ses réserves d’énergie et son endurance étaient presque à zéro. Il prit de profondes respirations puis entama sa descente. Une fois dans la rue il appela Luke techno-pathiquement, simplement en imaginant le numéro et ses logiciels analysèrent l’ordre pour composer le numéro.
  • Allo Ilia ? Allo…
  • Oui c’est moi…
  • Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ?...
  • Ta gueule, écoute, je n’ai pas beaucoup de temps. Viens me chercher à l’angle du général Laumou et St-James, j’y serai dans dix minutes.
  • Quoi ? Pourq…
II raccrocha sans hésiter et composa un autre numéro beaucoup plus utile.
  • Ilia ? On n’avait prévu aucune communication avant la fin des opérations
  • C’est urgent, j’ai eu une rencontre très déplaisante et l’opération a été sabordée.
Il y eut un moment de silence puis :
  • Deux minutes, je termine le ménage.
Il y eut à nouveau un moment de silence, une minute cinquante-neuf précisément, interrompue par quelques bruits de coups feux inaudibles à la foule qui entourait désormais Ilia.


  • J’écoute ! - commanda Diss
  • J’ai été attaqué par un z’hum, j'ai du battre en retraite.
  • Battre en retraite ? Toi ? Inconcevable.
  • Je sais. J’ai dû utiliser une grande quantité de Quätal.
  • … Des effets négatifs ?  
  • Pas pour l’instant, je me dirige au labo pour faire un check up.
  • Et le corps de ce Z’hum ? - nargua Diss
  • Est-ce une plaisanterie ? Je n’ai rien pu faire, pas avec ce matériel obsolète - fulmina Ilia e regardant son corps avec dégoût.
  • Vraiment rien ? OK. Des informations pour pouvoir l’identifier ?  
  • C’est un félidé d’espèce inconnue de couleur noire.
  • Tu essayes de me dire que tu as croisé un chat noir ? Hahahaha !
C’était la première fois depuis un long moment qu’il l’entendit rire ou qu’il s’entendit rire lui-même. Un vrai fou rire.
  • Bien, on arrête toute opération pour ce soir, je contacte Monsieur pour débriefing. Transfère-moi toutes les données, je ferai le tri.
  • Ce sera fait. Il ne sera pas compliqué à retrouver.
  • Ilia, comment était-il ?  - demanda Diss intrigué par la créature qui a pu stopper son ami
  • Jeune et inexpérimenté - affirma Ilia en toute sincérité
  • C’est tout ? Aucun intérêt donc ?
Ilia ne répondit pas immédiatement.
  • Tu verras par toi-même, mais il regrettera de m’avoir humilié. Je te recontacterai.
Il avait les poings serrés et bouillonnait de rage. Il avait combattu des entités bien plus puissantes que lui pour la responsabilité de la vie et la gloire de la mort, mais ce félin n’avait aucunement la carrure nécessaire pour se jouer de lui de la sorte. Le prendre pour une merde ? Un moins que rien ? Même pas digne d’être pris au sérieux ?...Cependant, sa colère était peut-être un moyen de cacher sa peur, car pendant un court instant, après l’avoir touché avec la décharge cinétique, il éprouva cette étrange envie de se cacher, de fuir le plus loin et le plus rapidement possible. C’était une sensation qu’on éprouvait quand on faisait face à un adversaire qu’on peut qualifier de monstrueux, dépassant toute logique en termes de capacité et d’agressivité comme les dieux de la guerre qu’ils priaient de ne jamais croiser. Hélas, c’était à ce moment-là qu’ils préféraient se montrer, le pire est toujours des plus prévisibles, car il arrivera quand l’espoir sera au plus bas, et ils arrivaient dévastant des plaines entières de quelques gestes.
  • Dois-je libérer le contrôle ? demanda Iverna.
  • Non, uniquement quand on sera en dehors de ta zone d’opération, répondit Ilia
  • Ordre confirmé.
  • La nuit est fraîche, je prendrai mon temps, songea-t-il avec un sourire aux lèvres. La seule évocation des dieux de la guerre faillit lui faire physiquement mal, c’était un souvenir qu’il gardait profondément enfoui. Il était vraiment heureux d’être ici, et il allait profiter de cette paix le temps qu’elle durerait…


Il marchait tout seul en direction de son rendez-vous, au milieu de la foule qui baissait les yeux et s’écartait devant lui de manière consciente et inconsciente, car les gens sentaient dans leur intelligence collective que ce type était synonyme de très gros problèmes.  
Le chat se précipitait vers l’incendie le plus proche, prenant de la vitesse pour un bond. Il franchit deux immeubles avant d’atterrir sur le toit du troisième, un autre bond et une rue et un immeuble franchi, encore un autre et quelques immeubles franchis avant de se retrouver sur le toit voisin du bâtiment incendié. C’était le pire scénario possible pour le développement d’un incendie. Il n’y avait absolument aucune source de lumière hormis le rougeoiement des flammes visibles à travers les fenêtres. Les protocoles gérant les systèmes de sécurité, dont les systèmes anti-incendie, ne fonctionnaient plus et les communications avaient été bloquées, ce qui voulait dire que les pompiers allaient être plus longs à arriver que dans les conditions normales. De plus, vu comment les immeubles étaient collés les uns aux autres, l’incendie pouvait se propager facilement et causer des dégâts colossaux. La bonne nouvelle était que le ruckus qu’ils avaient soulevé ici il y a quelques minutes avait réveillé du monde. Sans doute quelqu’un avait appelé la centrale d’urgence avant que le silence radio n’ait été imposé, ce qui allait attirer une patrouille de police, le côté négatif était qu’ils en avaient pour 20, voire 25 minutes environ plus le temps de préparation et d’arrivée des pompiers ce qui en tout devant compter au minimum une quarantaine de minutes. Cet intervalle de temps était amplement suffisant pour que la situation devienne catastrophique. Tout dépendait de ce qu’Ilya avait fait et de comment il avait fait ce tour de passe-passe, quoique le comment avait beaucoup moins d’importance à ses yeux. Il était loin d’être un expert, mais ce qu’il voyait lui faisait froid dans le dos. Ce qui lui faisait peur était les émotions qui naissaient à l’intérieur de lui comme un monstre aux milliers de visages et aux milliers de personnalités différentes se battant pour la dominance, se nourrissant de la détresse, de la peur, de la douleur de ceux qui étaient prisonniers des flammes et de la fumée. Il n’avait jamais assisté à un drame pareil. Il avait entendu des histoires épouvantables sur la naissance de leur espèce entre autres, mais personnellement, c’était la première fois qu’il voyait quelque chose du genre. Le feu se propageait rapidement et à l’odeur, il y avait déjà des victimes. Il devait agir vite, ce n’était pas du tout correct de les regarder mourir de l’une des pires façons qui soient sans bouger le petit doigt. Ces personnes, tout comme la jeune femme de tout à l’heure, n’avaient rien demandé et le chat avait beaucoup, beaucoup de mal à tolérer ceux qui essayaient de nuire par la force à la liberté des autres. Les z'hums, enfants de la tragédie ne pouvaient tolérer la voir se répéter devant leurs yeux, c'était comme si les cicatrices se rouvraient à nouveau, celles de leur âme brisée et rouge de colère.


En bas, les rescapés étaient attroupés perturbés par le manque de signaux, dans le noir et coupés du reste du monde. Certains hurlaient à ceux du dessus dont l’échappatoire était coupée par quelques étages en feu, d’autres essayaient d’utiliser leur téléphone pour demander de l’aide, mais sans résultat, d’autres encore tentaient de retrouver leurs proches dans la foule ou de s’organiser pour tenter de les sauver, et d’autres encore regardaient simplement, louant le ciel d’avoir été épargnés d’une telle épreuve. Mais l’état général était la panique et l’incompréhension.


En se fiant à ses sens, il pouvait compter une trentaine de personnes bloquées dans les étages supérieurs, dont la jeune femme au 7ème profondément endormie. A moins que ses sens le trompait et qu'il y en avait bien plus.
Le chat n’était pas sûr du chiffre, vu qu’il était incroyablement difficile d’obtenir des informations : olfactives, visuelles, auditives et autres avec tout ce feu et cette fumée.
« Je vais commencer par la mettre en sécurité », pensa le chat. Vu qu’elle était dans l’incapacité de faire quoi que ce soit, elle était prioritaire à ses yeux, alors sans plus attendre, il s’agrippa au mur, plus à la manière d’un lézard que celle d’un chat. Ses griffes étaient profondément ancrées dans le béton pour se maintenir à la verticale et pouvoir ajuster aisément sa trajectoire. Il se propulsa ensuite avec une certaine force, laissant derrière lui de profondes marques et des lézardes. La force était juste suffisante pour atteindre et traverser le mur de l’appartement en question dans un bang, ce qui attira tous les regards, juste à temps pour éviter les quelques débris qui s’écrasèrent sur le trottoir.


Il y avait beaucoup de fumée, provenant principalement du 5ème et du 9ème étage dont une grande partie était complètement dévorée par les flammes, alors se fier uniquement à ses yeux pour voir était incroyablement difficile. En réalité, sa seule présence dans un tel environnement pouvait être mortelle. La fumée transporte la chaleur, elle peut donc occasionner des brûlures et pire encore si inhalée, cela pouvant endommager les poumons et la trachée, c’est pourquoi il devait agir vite. Il ne lui fallut pas longtemps pour se repérer dans le petit appartement vu qu’il avait déjà été là. Il se précipita vers la chambre. La jeune femme dont il ne connaissait ni le nom ni le rôle dans toute cette histoire était complètement anesthésiée. Au moins, cela évitait les cris et l’hystérie. Le chat la saisit aussi délicatement qu’il put sous la contrainte du temps et ressortit très vite par le trou énorme qu’il avait fait dans le mur. Il amortit autant que possible l’atterrissage pour ne pas que la chute de 7 étages s’arrête brusquement, cela pouvait être très dangereux pour un humain fragile et finir dans le meilleur des cas par des fractures. Il atterrit du côté du trottoir opposé à la foule pour éviter un premier contact inutilement compliqué, puis la déposa délicatement au sol à la vue de tous pour éviter au maximum les « malentendus ».
  • Oh mon dieu !
  • Elle est vivante ?
  • Il l’a tuée ?
  • Écarte-toi d’elle…
Il ne resta pas plus longtemps pour les écouter, c’était une perte de temps colossale. Il y avait beaucoup de préjugés concernant les zoohumains, ils avaient fait irruption dans la vie des humains qui n’avaient rien demandé. C’était peut-être dû à l’ignorance, aux informations médiatisées créant le sentiment de peur et d’insécurité amenant à une stéréotypisation négative, peut être était-ce dû à un instinct plus primitif encore lié à la dominance d’une espèce sur les autres, mais s’il fallait croire les livres d’histoire, ce fut déjà le cas lors de l’Antiquité. Il y avait toujours eu des élus à haïr, même au sein de leur propre espèce pour un critère aussi superflu que la couleur de peau. La situation n’était pas si différente non plus aujourd’hui, quoique pour leur défense, celle des humains bien sûr, voir l’existence de bêtes carnivores et potentiellement sauvages se concrétiser du jour au lendemain pour la plupart avait de quoi fortement choquer et terroriser. Surtout que cela s’était produit après la fin de la guerre contre une race extraterrestre, mais c’était un débat qu’il n’avait pas envie d’avoir en ce moment avec lui-même, il y avait d’autres priorités comme la vie de personnes innocentes.
La procédure était assez simple : pénétrer l’immeuble, trouver les victimes, si elles étaient seules ou à deux, les prendre sans sommation et passer par la fenêtre, balcon ou mur le plus proche et ne pas oublier d’amortir la chute, puis recommencer. La situation ne se compliqua légèrement que lors de son avant-dernier voyage. Il y avait une famille de 4 personnes, une femme et 3 enfants recroquevillés tous ensemble dans un coin de l’appartement, juste en dessous de l’évier qui débordait en les arrosant d’eau. Ce petit monde portait des foulards improvisés pour se protéger de la fumée, ce qui était également une bonne idée. La mère chantait une berceuse en combattant les larmes et le désespoir, trop affaiblie et apeurée pour tenter quoi que ce soit. Le feu était partout et la température était insupportable, partout dans l’appartement, et bientôt, même l’eau qui leur coulait dessus allait bouillir dans les tuyaux et leur brûler la peau. À la vue de la gigantesque silhouette du chat dans la fumée, elle essaya de reculer encore plus, mais la seule solution à ce niveau-là était de fusionner avec le mur, et se mit à crier :
  • Non ! Non ! Pitié ! Non…
Sans doute était-elle en train d’halluciner, les enfants se mirent aussitôt à pleurer répondant à la panique de leur mère, tous sauf un : le seul garçon du groupe. Il se mit en travers pour les protéger de la menace du chat, une menace imaginaire, mais c’était une attitude louable cependant, celle du grand frère. Le félin était partagé entre respect et colère pour ce petit homme qui ne comprenait rien à rien. C’était juste que les relations avec le sien de grand frère étaient extrêmement compliquées, mais cela était une autre histoire, à raconter une prochaine fois. Le chat lui posa la main sur la tête avec délicatesse.
  • Je ne vais pas vous faire de mal, je suis là pour vous aider, dit-il en prenant son temps même s’il ne pouvait en perdre beaucoup. Tout le monde toussait et était visiblement mal en point. La fumée étant plus dense que l’air ne ressortait pas aisément et emplissait les poumons. De plus, au vu de la température, les poumons des petits étaient en grand danger. Il fallait les évacuer immédiatement.
Le garçon ne répondit rien, il combattait désespérément l’envie d’éclater en sanglots et y arrivait remarquablement. Le petit se tourna vers sa mère qui sembla revenir à la raison.
  • Mes enfants, sauvez mes enfants, je vous en supplie…
  • Je vais tous vous sortir de là et j’aurai besoin de votre coopération, répondit le chat. La femme ne dit rien en retour, mais fit oui énergiquement de la tête.
  • Bien, comment vous appelez-vous ? demanda-t-il pour établir une rapide forme de confiance en montrant qu’il s’intéressait à tout le monde. Il n’en fallait pas beaucoup plus dans ce genre de situation, du moins le plus souvent.
  • Nadine cough, la plus grande s’appelle Sylvie et sa petite sœur Sabrina, cough, et mon fils s’appelle…
  • Sam, dit-il lui-même.
  • Sam, confirma sa mère.
  • Bien ! Vous avez une baignoire ? demanda le chat.
  • Non une douc… Cough, douche, répondit Nadine.
  • Le lit des enfants ou le vôtre peut-il vous contenir tous les 4 ?  
  • Le mien oui, je dors avec ma petite sœur, dit Sam qui avait compris l’idée du chat.
  • Dans ce cas, tout le monde dans la chambre de Sam.
  • Suivez-moi, cough, commanda Sam
Mais avant qu’il ne file pour disparaître dans la fumée il fut saisi et immobilisé.
  • Pas si vite petit, la fumée est dense, alors avance prudemment et reste le plus possible au ras du sol, et ça vaut pour vous aussi, leur dit le chat en lâchant le petit.
Une fois dans la chambre, il les invita à tous s’asseoir sur le lit.
  • Et maintenant ? Cough, demanda Nadine.
Le chat frappa le mur des deux mains comme s’il s’agissait de massues, dans un mouvement descendant pour élargir le rayon d’impact. Là encore, il employa juste assez de force pour créer un trou suffisamment grand pour laisser tout le monde passer.
« Sans le contrôle la force n’est rien », lui disait souvent son père, mais le chat avait quelquefois du mal à micro-manager sa force.
Il saisit le lit sur la longueur sans difficulté, la longueur de ses bras étant largement suffisante.


  • Attendez ! Qu’est-ce que…. commença à dire Nadine. Elle venait de faire le rapprochement entre le mur, le lit, le vide et la perspective était loin de lui plaire. Mais son opinion n’était pas demandée.
  • Accrochez-vous au lit de toutes vos forces, dit le chat avant de sauter. Il y eut des cris, des larmes et… un rire ? Ce n’était pas Sam qui avait les yeux fermés, mais Sabrina qui riait toutes dents dehors.
L’atterrissage demanda un effort supplémentaire, ses pattes arrière fissurèrent le goudron, il avait dû encaisser le maximum de la force de l’impact possible, voire plus pour contrer la chute. Ils avaient atterri de l’autre côté de l’immeuble, dans la cour intérieure, et là aussi, il y avait des gens, dont certains qu’il avait sauvés. Nadine lui agrippa la chemise d’une main
  • Vous êtes complètement cinglés ! hurla-t-elle tenant encore le lit de l’autre.
  • Maman ! protesta Sam.
Elle regarda son fils, puis autour d’elle. C’était là qu’elle percuta où elle se trouvait, en sécurité. Elle lâcha le T-shirt du chat qui avait vu de bien meilleurs jours, puis en retenant les larmes, elle serra ses enfants de toutes ses forces.
  • Merci, merci ! dit-elle.  
Il ne répondit pas. Il ne savait pas quoi répondre ni comment répondre. C’était étrange et il ne savait pas comment se l’expliquer. Il n’avait jamais aidé comme aujourd’hui auparavant. Il avait observé des humains s’entre-tuer, il avait violenté beaucoup d’entre eux armés de couteaux, de pistolets et de fusils pour s’amuser quelquefois. Mais il n’avait jamais « sauvé » comme aujourd’hui.
Il fit un geste de la tête puis alla chercher son dernier sac à patates qui atterrit quelques instants plus tard, terrifié, mais sauf au milieu de ses voisins. C’était tout ce qu’il pouvait faire ici alors que le feu dévorait les immeubles, vu que les survivants étaient tous dehors. Il restait à s’occuper du deuxième site et avant que la foule ne l’étouffe de remerciement et/ou de questions, il disparut dans l’obscurité qui d’ailleurs ne tarda pas à se dissiper. Les lumières revinrent comme par enchantement, la poche arrière de son pantalon commença à vibrer, les communications dans la zone devaient être restaurées également, mais il n’avait pas le temps de répondre. Une fois sur place, il constata que la situation n’était pas si différente et qu’il allait opérer de la même façon. Une fois la tâche accomplie, il partit comme il arriva, sans un bruit, sans un mot, laissant la police et les pompiers fraîchement débarqués s’occuper du chaos. Le téléphone vibra à nouveau, il prit l’appareil délicatement entre ses doigts pour éviter de l’écraser par inadvertance et regarda qui pouvait bien l’appeler avec autant d’insistance si tard dans la nuit. Il vit « maman », et sa main tomba, comme si tout à coup, elle était complètement vidée de toute énergie.
« Ah, c’est aujourd’hui… », pensa-t-il en levant les yeux vers le ciel dépourvu d’étoiles, masquées par les innombrables lumières de Louisville. « Merde, c’est aujourd’hui », se dit-il à nouveau, déprimé à la perspective de ce qui allait arriver sur les prochains jours.     

Le chat envoya un rapide message disant simplement « J’arrive ».
Puis il regarda dans la direction opposée du spatioport, en direction du plus grand hôpital de la ville, une cité médicale plutôt qu’un hôpital en fait : Pasteuria. Il ne se sentait pas d’humeur d’y courir, alors il regarda la carte pour se géo-localiser puis se commanda un taxi. En prenant la Blue road qui traversait le cœur de la ville, la connectant du nord au sud, il en avait pour un peu plus d’un quart d’heure. Rapidement, il dégonfla et perdit plusieurs dizaines de centimètres. Ses traits changèrent en prenant une apparence humaine dans un bruit de craquement d’os, puis il descendit l’immeuble avec agilité.   


C’était une nuit particulière pour le destin de Louisville et de tous ses habitants sans exception. Le chat venait de faire incursion dans une partie qui se jouait depuis fort longtemps et qui avait pour enjeu la survie de l’univers. Un trait de famille qui allait coûter très cher.    





Blalbla vite fait
J'ai changer le nom du blog en catastrophe, ne vous en faites pas c'est normal. J'expliquerai tout demain avec la nouvelle publication. sincèrement désolé. Oui, oui c'est pas pro mais je ne suis pas pro ;) 
Merci de votre compréhension sans bornes, lol. 

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